Si les amateurs de musique et de spectacles visitent des hauts lieux culturels pour la qualité des concerts, la renommée de l’institution ou encore la beauté de l’architecture, la plupart ignore que, dans de nombreuses maisons dans le monde, la technique qui fait fonctionner la machinerie scénique provient d’une entreprise fondée en 1987 à Rodange au Grand-Duché sous le nom de Guddland Digital S.A.

Lorsque les deux fondateurs et co-directeurs, Jean-Marie Schiltz et Roland Jacoby, qui se sont connus pendant leurs études et ont travaillé à leurs débuts auprès de la même société informatique en Allemagne, nous reçoivent, leur esprit pionnier et leur goût de l’entrepreneuriat sont clairement palpables. Au départ, leur nouvelle société proposait un système de commande pour des ordinateurs industriels (l’automatisation), basé sur la solution qu’ils avaient développée en Allemagne. Leur système trouvait ainsi application auprès de clients industriels, comme par exemple chez Paul Wurth pour contrôler le profil de chargement du haut fourneau, à l’Arbed de l’époque pour opérer un laminoir à plomb, chez Elektrisola, un producteur de fils de cuivre émaillés, ou encore chez Effem pour réguler un four de stérilisation destiné à des produits alimentaires pour animaux.

Dès 1989, l’entreprise commence à développer son propre système de commande assistée par ordinateur qui pose le fondement du système C.A.T. (computer aided theatre), commercialisé jusqu’aujourd’hui dans sa version C.A.T. V5.

Au fil de différentes collaborations avec des équipementiers scéniques, l’entreprise de Rodange intègre peu à peu le monde des théâtres, des opéras et des scènes de spectacle en général, un domaine d’activité sur lequel les deux fondateurs décident rapidement de se concentrer. Les premières références furent le théâtre de Oberhausen en Allemagne, le théâtre national de Maribor en Slovénie ou le théâtre national de Mannheim en Allemagne, qui étaient jusque-là dotés d’une technologie analogue. À cette époque aussi, de premiers contacts ont eu lieu avec l’entreprise autrichienne Waagner-Biro Vienne, qui depuis la deuxième moitié du 19e siècle fournissait des machines et équipements de scène aux salles les plus prestigieuses. Plus tard en 2002, l’entreprise luxembourgeoise sera reprise à 51% par le groupe autrichien Waagner-Biro et agira désormais sous le nom de Waagner-Biro Luxembourg Stage Systems S.A.

Le système innovatif de pilotage des machineries scéniques que Waagner-Biro intègre aussi bien dans la construction de nouvelles scènes que dans la modernisation de scènes existantes se distingue avant tout par sa sécurité, sa performance et sa fiabilité. « Contrairement à des sites industriels, une scène est le seul endroit où vous pouvez circuler sous un treuil ou une charge lourde ! » ne manque pas de remarquer Jean-Marie Schiltz pour souligner l’importance des normes de sécurité qui sont applicables au niveau des structures, mais aussi à toutes les étapes du processus de développement de l’outil pour garantir la sécurité des artistes, des techniciens et des spectateurs.

Au départ, la mise en place de ce nouveau système de pilotage C.A.T. a nécessité un important travail de persuasion auprès des techniciens de théâtre, majoritairement des artisans habitués à des gestes manuels. « Curieusement », fait remarquer Roland Jacoby, « cette résistance à l’innovation technologique est toujours présente dans les institutions culturelles au Japon, où le milieu artistique est encore très ancré dans la tradition ». Il n’empêche que le Japon est un des très nombreux pays – aujourd’hui au nombre de 36 – vers lesquels Waagner-Biro exporte son savoir-faire.

Une des références les plus prestigieuses est depuis 1993 la Staatsoper de Vienne, qui vient de passer encore récemment une commande importante pour la mise à jour de son outil de pilotage vers le système C.A.T. V5. Toute récente est aussi la commande d’équiper le nouveau grand opéra de Shanghai avec le système de pilotage C.A.T., ce qui représente le plus grand projet jamais réalisé à cette date. Hongkong, Beijing, Singapour, Sydney, Copenhague, Stockholm, Reykjavik, Paris, Hambourg … mais aussi le Grand Théâtre de la Ville de Luxembourg et la Philharmonie de Luxembourg, toutes ces grandes maisons apprécient la qualité et la fiabilité du système « Made in Luxembourg », qui est développé à Rodange, où l’équipe de 54 employés compte désormais 16 nationalités. Par ailleurs, 4 collègues chinois assurent une présence locale en Chine, alors que beaucoup d’autres entreprises ont rapatrié leurs activités au moment de la pandémie du Covid.

FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
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FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström
FEDIL, Echo des Entreprises, Zoom, Waagner & Biro, Photo: Ann Sophie Lindström

Si le système de commande C.A.T. est souvent utilisé pour le pilotage de scènes et d’équipements conçus au sein du groupe Waagner-Biro, ceci n’est pas une condition exclusive. Au fil des années, l’entité luxembourgeoise a multiplié les partenariats stratégiques avec des équipementiers scéniques tiers, ajoutant ainsi par exemple à son actif des projets en France et en Suisse romande … le théâtre Marigny sur les Champs-Elysées, le fameux théâtre du Châtelet, l’opéra de Lyon avec sa toiture unique, les salles du Maillon à Strasbourg, la Nouvelle Comédie à Genève pour ne mentionner que ceux-ci. L’envergure et la complexité du projet dépendent bien sûr aussi du type de salle : il peut s’agir de salles de concert, de théâtres classiques, de grandes maisons avec des programmations très variées et très fréquentes, de salles de Musical aux effets spéciaux multiples ou encore des théâtres acrobatiques, genre Cirque du Soleil, essentiellement en Chine. À cela s’ajoutent des salles de spectacle sur des bateaux de croisière. C’est dire que l’ingénierie de scène est à chaque fois personnalisée par rapport aux besoins du client.

Comme partie intégrante du système, les équipes de Waagner-Biro Luxembourg Stage Systems sont connectées à distance au théâtre respectif, ce qui leur permet de fournir de la maintenance et de l’assistance immédiate sans devoir se déplacer et d’éviter ainsi la perte coûteuse de jours de production. « Cette fonctionnalité nous a d’ailleurs permis d’implémenter deux projets complets en Chine pendant la période du Covid sans jamais rencontrer le client physiquement » souligne Jean-Marie Schiltz.

Dans le cadre de son développement stratégique à long terme, Waagner-Biro Luxembourg Stage Systems s’est associé l’année dernière avec LIST (Luxembourg Institute of Science and Technology) pour un nouveau projet de recherche qui consiste à développer un système de wagons de scène flexibles et modulaires. Si la communication sans faille des données est une précondition au déploiement de ce système, la complexité technique réside dans le positionnement de précision des wagons, un aspect essentiel pour en garantir la sécurité. Ce projet de R&D, qui est financé à hauteur de 57% par le ministère de l’Économie, est scindé en 12 paquets de travail sur 4 ans et devrait laisser entrevoir des opportunités dans d’autres domaines d’application aussi.

Alors que l’année 2023 était relativement difficile suite à plusieurs commandes retardées pour des raisons économiques, l’année 2024 est plus prometteuse avec un carnet déjà bien rempli, dont notamment des théâtres à équiper aux Pays-Bas, en Autriche ou en Norvège, et éventuellement une ouverture de marché aux États-Unis, une région qui jusqu’à présent n’est pas encore desservie par Waagner-Biro, essentiellement pour des raisons d’assurance et de responsabilité.

Si l’expansion des activités de l’entreprise se poursuit, les deux codirecteurs déplorent toutefois qu’ils doivent investir des ressources disproportionnées pour venir à bout d’une bureaucratie démesurée. “Compte tenu de la grande variété de nationalités de notre équipe et vu que nos projets se réalisent presqu’exclusivement à l’international, les règles à appliquer en matière de détachement, de fiscalité, de TVA … deviennent ingérables”, commente Jean-Marie Schiltz. “Une simplification s’impose, surtout pour un petit pays ouvert comme le Luxembourg, dont l’économie vit de l’exportation.”